On assiste, depuis quelques années, à la multiplication des dénominations de certaines classes de la société, non tant en fonction de leur appartenance sociale ou économique que de leur style de vie, culturel, vestimentaire, idéologique... Ce phénomène apparaît comme fortement lié à un effet de mode qui incite ces différents groupes à se singulariser et, pour ce faire, à renouveler très rapidement leurs particularités pour rester originaux, « néologiques » en quelque sorte. Les néologismes que nous avons détectés puis suivis dans la presse (hipster, yuccie, normcore, muppie, gyspset, boubour...) ont pour particularité non seulement de désigner de nouveaux groupes sociétaux mais de contribuer en même temps à leur création ou tout au moins à leur reconnaissance. Notons qu'il peut aussi être une nouvelle création pour actualiser une unité lexicale jugée hors d'usage ou trop marquée (ainsi métrosexuel pourrait renvoyer à minet (1966)).
Le plus souvent éphémères (peu d'entre elles entrent dans les dictionnaires de langue), ces dénominations peuvent parfois prendre racine dans la langue et être lexicalisées (génération boomerang, génération X...). Il est souvent difficile d'en donner une définition précise tant elles apparaissent dans le prolongement l'une de l'autre, avec quelques ruptures sémantiques toutefois. Ce trait linguistique est particulièrement intéressant, aussi bien du point de vue de la créativité lexicale, des conditions de la disparition des unités néologiques que de l'aspect sociolinguistique. Nous nous proposons de développer ces deux aspects comme spécifiques d'une néologie éphémère. Nous examinerons les conditions qui font surgir ces néologismes, les modalités de leur diffusion et le contexte de leur disparition ou de leur lexicalisation, tout en esquissant une typologie linguistique. Nous nous appuierons sur la presse écrite nationale ainsi que sur des lexiques en ligne pour analyser comment se construit l'appréhension linguistique de ces nouvelles notions que le locuteur doit saisir très vite pour être dans l'actualité et avant qu'elles disparaissent.
Bibliographie
Bres Jacques, « Des stéréotypes sociaux », Le même et l'autre en discours, Cahiers de praxématique, n° 17, 1991.
Humbley John, « La classification des faux emprunts : une question de point de vue », dans A. Kacprzak et J.-F. Sablayrolles (éd.), Emprunts néologiques et équivalents autochtones en français, en polonais et en tchèque, Limoges, Lambert-Lucas, 2016, p. 37-58.
Jacquet-Pfau Christine, Sablayrolles Jean-François et Humbley John, « Emprunts, créations « sous influence » et équivalents », dans M. Van Campenhoudt, T. Lino et R. Costa, « Passeurs de mots, passeurs d'espoir : lexicologie, terminologie et traduction face au défi de la diversité », Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2011, p. 325-340.
Jacquet-Pfau Christine et Sablayrolles Jean-François (dir.), La Fabrique des mots français (Actes du colloque de Cerisy), Limoges, Lambert-Lucas, 2016.
Kacprzak Alicja, « La veille néologique en tant que démarche à visée lexicographique : exemple de l'emprunt récent à l'anglais en français et en polonais », dans Romanica Wratislaviensia, no 63, 2016, p. 69 – 77.
Lecolle Michèle, « Dénominations émergentes de groupes sociaux », dans C. Jacquet-Pfau et J.-F. Sablayrolles, La Fabrique des Mots, Limoges, Lambert-Lucas, 2016, p. 327-344.
Sablayrolles Jean-François, La néologie en français contemporain. Examen du concept et analyse de productions néologiques récentes, Paris, Honoré Champion, coll. « Lexica. Mots et dictionnaires », 2000.
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