La néologie sémantique par calque phraséologique
Ramon Marti Solano  1@  
1 : Centre de Recherches Sémiotiques
Université de Limoges

Il est communément accepté que, en ce qui concerne les unités phraséologiques, des équivalents totaux dans des langues différentes sont très rares même si traditionnellement ils ont été classés comme tels dans des typologies d'équivalences interlinguistiques. D'un point de vue formel les équivalents totaux comportent une correspondance mot-à-mot sur les plans lexical et syntaxique mais peuvent montrer des écarts sémantiques considérables et être utilisés dans des contextes ou des genres textuels différents.

L'objectif de cette étude sur corpus est l'analyse de la néologie sémantique dans des unités phraséologiques en français (et subsidiairement en d'autres langues romanes) par calque phraséologique de l'anglais. Le français partage avec l'anglais un nombre important d'équivalents phraséologiques partiaux ou totaux, aussi appelés internationalismes phraséologiques, comme pour la plupart des langues européennes.

Les unités phraséologiques analysées sont « trou noir » et « canard boiteux » qui ont un équivalent formel total en anglais, à savoir black hole et lame duck respectivement. Afin d'en mesurer le degré d'équivalence et l'émergence d'un nouveau sens ou « un nouvel emploi d'un signifiant existant » nous avons créé quatre corpus comparables à partir des archives électroniques de grands journaux. Les extraits contenant les unités en question ont été sélectionnés manuellement pour compiler ces corpus ad hoc. Chaque corpus est composé de 75 fragments textuels où se trouvent les unités phraséologiques dans leur contexte linguistique.

Le Dictionnaire des expressions et locutions de Rey et Chantreau définit « canard boiteux » comme « personne mal adaptée » et par extension sémantique comme « entreprise peu rentable ». Pour repérer et mesurer l'ampleur du nouveau sens par calque phraséologique la constitution d'un corpus comparable s'avère fondamentale. L'analyse contrastive fait ressortir des calques sémantiques qui sont souvent signalés par des guillemets dans la presse française lorsqu'ils apparaissent dans un contexte anglo-américain comme, par exemple, le « trou noir » de 30 milliards de livres sterling. Pour l'espagnol, l'italien et le portugais on observe le même phénomène avec, respectivement, agujero negro, buco nero, buraco negro et aussi pour l'espagnol avec pato cojo.

Contrairement à la matrice par détournement dans les lexies complexes qui ne relève pas « de la néologie sémantique à proprement parler », cette matrice par calque phraséologique ouvre de nouvelles perspectives à la néologie sémantique dans le domaine de la phraséologie. Il ne s'agit donc pas d'une évolution de sens (extension ou restriction) mais d'un nouvel emploi d'une unité déjà attestée dans la langue.

Une analyse cotextuelle permet d'identifier les emplois néologiques de ces séquences figées : le cotexte à droite de « canard boiteux » est de l'hôpital, de l'industrie, de la famille, de l'audiovisuel, etc., reflétant ainsi ses deux sens attestés. Le nouveau sens par calque phraséologique est le résultat de matrices récurrentes et de leurs significations associées et plus particulièrement de prémodification et postmodification de ces faux amis phraséologiques.



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