La coprésence de la langue française avec les autres langues parlées en Algérie (l'arabe classique et l'arabe algérien) a donné lieu à des phénomènes d'innovation linguistique, tels que l'alternance codique, l'hybridation néologique, les emprunts lexicaux et la création de mots nouveaux. Cette condition se manifeste en particulier dans le discours de la presse francophone où l'on assiste à l'emploi de plusieurs procédés de formation morpho-lexicale et sémantique qui enrichissent de plus en plus l'univers lexical des journalistes. Dans cette contribution, nous nous proposons d'observer les phénomènes néologiques dans la presse francophone écrite dans la dernière décennie, en analysant de manière semi-automatique un corpus de mots nouveaux attestés dans trois quotidiens : El Watan, Liberté, Quotidien d'Oran. Dans la plupart des cas, il s'agit de mots inventés et/ou déformés par les journalistes pour dénommer de nouvelles tendances socioculturelles et pour désigner de nouveaux concepts ou de nouvelles réalités. À titre d'exemple, citons piétonnation, novembriste, Bouteflikisme, bouteflicologie, bédouiniser, journaneux, émiratisation, dictaturer, made in Là-bas, imamation, Sarkosine, ramadanesques, parkingueur, footpolitique, boujouterie, dictarchie, catatotale, pharmafruit, la scenseur, etc. Si l'on observe de plus près ces exemples, on peut remarquer des traits « ludiques » posant des problèmes au niveau référentiel aussi. Nous croyons que ces créations lexicales ludiques et fantaisistes représentent un phénomène sociétal et culturel important qui n'est pas toujours facile à circonscrire et qui va au-delà de l'activité linguistique des journalistes ; d'un côté, elles semblent symboliser la liberté langagière des journalistes « désirant se mettre à la portée de leurs lecteurs » (Sablayrolles, 2000, 378) ; de l'autre, elles semblent manifester un changement aux niveaux socio-historique et identitaire, malgré les contraintes politico-institutionnelles d'un pays pas encore totalement ouvert aux nouveautés médiatiques. Le but de cette contribution est donc double : d'une part, il s'agira d'analyser les procédés de création d'un point de vue lexicogénique (Sablayrolles, 2000) et certaines caractéristiques générales des emplois ludiques qui s'en dégagent. D'autre part, nous analyserons les mécanismes néologiques à travers une approche lexiculturelle : il sera donc question de saisir si le discours de la presse participe à la diffusion des néologismes par rapport à une norme linguistique et institutionnelle si attentive à l'impact éventuel des mouvements linguistiques considérés comme « nouveaux » et « extérieurs » à sa propre « langue-culture ».
- Autre