Le syntagme “quantitative easing” (« assouplissement quantitatif »), que nous qualifions ici de néologie d'emprunt, indique incontestablement un concept complexe qui fait débat au sein des économies européennes. A la une des journaux depuis le lancement de la nouvelle politique de M. Draghi en matière de taux directeurs, QE fait état d'un niveau de complexité élevé dû en partie à son origine (entre autres, traduction littérale de l'expression japonaise ryōteki kanwa) et à son opacité conceptuelle. Comme nous l'avons écrit dans un article précédent, l'interprétation de QE serait rendue encore plus complexe par le fait que, dans le discours, ce concept est assimilé par analogie à la politique de la BCE alors que celle-ci ne fait qu'en démarquer et se caractérise par un niveau élevé de d'escorte métalinguistique (Maldussi, sous presse).
Au vu de son caractère manifestement polémique, force est de constater la richesse du foisonnement métaphorique qui entoure QE. Dans le cas que nous étudierons ici, nous basant sur une stratégie ascendante fondée sur l'exploration systématique de corpus spécialisés et généralistes, la création métaphorique donne lieu à deux véritables positionnements idéologiques qui se dessinent en tant que véritables camps de pensée fédérateurs mais opposés qui orientent l'appréhension du concept de QE. La première métaphore en débat focalise la force des mesures de M. Draghi (ce dernier n'utilise jamais l'expression QE mais plutôt celle de « mesures non conventionnelles) et fédère tous ceux qui assimilent le QE à une arme puissante de destruction telle que le « bazooka », à de l'artillerie lourde ou à l'arme anti-déflation, dont les résultats restent à vérifier. La deuxième, se caractérisant par une prosodie plutôt négative, fédère tous ceux qui assimilent le QE à une « planche à billets » que les Etas européens feraient tourner pour soulager leurs économies. Une métaphore à caractère idéologique étant donné que la création de monnaie se fait par voie électronique et que la BCE, de par son mandat, ne peut pas « battre de la monnaie ». Comme l'écrit Rossi : « Bien plus que les autres types de métaphore, [ce genre de métaphore] permet aux énonciateurs d'exprimer sur leur domaine une certaine vision, qui peut être plus ou moins partagée – dans ce contexte la métaphore peut devenir un outil puissant de positionnement dans le champ épistémique » (2017 : 165). Et Oliveira d'ajouter que « [...] la métaphore néonymique joue un rôle bâtisseur dans le savoir de la culture scientifique et une de ses principales fonctions consiste à combler certaines lacunes de dénomination, à appréhender une nouvelle perception de la réalité, mais également à la structurer » (2010). Deux camps fédérateurs qui laissent entrevoir en filigrane la lutte entre les partisans de la politique de la BCE et la Banque centrale allemande, depuis toujours contraire à la politique de M. Draghi.
Oliveira, I., La métaphore dans le processus de néologie terminologique en portugais, STUDIA UBB. PHILOLOGIA, LV, 4, 2010, en ligne.
Rossi, M. « Sentiment terminologique et sentiment métaphorique dans la création néonymique », Neologica, n° 11, 2017, La néologie en terminologie, p. 153-170.
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