Si l'italien n'est la langue de tous les Italiens que depuis le XXe siècle, l'avenir de la langue, sa définition et sa délimitation sont depuis des siècles l'objet de discussions passionnées entre intellectuels d'Italie (Pozzi, 1988) ; ces débats, désignés par la critique comme questione della lingua, resurgissent régulièrement, comme après la seconde guerre mondiale, lorsque Pier Paolo Pasolini, Italo Calvino intervinrent de façon passionnée dans la presse nationale (Parlangeli, 1971).
À cet égard, les prises de position des historiens de la langue au sujet des néologismes de l'italien contemporain sont intéressantes car, même si elles ne sont pas prétexte à des disputes intellectuelles retentissantes, elles représentent peut-être le dernier avatar de la questione della lingua. Ainsi, à partir des années 1930, Bruno Migliorini (1896-1975), titulaire de la première chaire universitaire de Storia della lingua et grand lexicographe, défendit en matière de néologismes une forme d'interventionnisme raisonné, respectueux du processus d'évolution naturel de la langue (et contraire aux prescriptions forcées du purisme du XIXe comme aux prescriptions de la politique linguistique de l'état fasciste). Pour désigner sa méthode, Migliorini parlait de glottotecnica ou de linguistica applicata ; l'italien contemporain lui doit regista, qui remplaça avec succès le français régisseur, autista pour chauffeur, ou apprendistato pour apprentissaggio (Fanfani, 2002). À la fin du XXe siècle, le linguiste Arrigo Castellani (1920-2004) proposa une nouvelle forme de purisme linguistique, notamment pour limiter l'usage des emprunts à l'anglais contemporain (Castellani, 1987).
Je me propose donc d'étudier les positions d'un petit nombre d'historiens de la langue actuels – dont Paolo D'Achille, Valeria Della Valle (1944-), Claudio Marazzini (1949-), Giuseppe Patota (1956-) ou encore Francesco Sabatini (1931-) – à l'égard des néologismes de l'italien contemporain. Nés au milieu du XXe siècle, ces linguistes font aujourd'hui autorité dans le champ de la Storia della lingua et ont en commun une œuvre importante de vulgarisation. Et puisque beaucoup sont membres de l'Accademia della Crusca (Société savante de recherche, de promotion et de contrôle de la langue italienne, fondée à Florence en 1583), il sera pertinent d'interroger aussi les nombreuses interventions de vulgarisation de l'Accademia. Comment ces linguistes et lexicographes jugent-ils des données de fait comme l'entrée importante d'anglicismes ou la multiplication rapide de nouvelles formations lexicales en italien contemporain ? Et que recommandent-ils à leur public ? En d'autres termes, il s'agira de vérifier l'éventuelle présence de formes nouvelles de purisme ou, au contraire, de formes de libéralisme linguistique, et – peut-être – d'observer un filon, larvé, de la questione della lingua.
Bibliographie sélective:
Castellani, Arrigo (1987), “Morbus Anglicus”, Studi linguistici italiani, 13, p. 137-153.
Fanfani, Massimo (2002), “Sulla terminologia linguistica di Migliorini”, dans Idee e parole. Universi concettuali e metalinguistici, dirigé par V. Orioles, Roma, Il Calamo, p. 251-298.
Marazzini, Claudio & Petralli, Alessio, dirigé par (2015), La lingua italiana e le lingue romanze di fronte agli anglicismi, Firenze, Accademia della Crusca.
Parlangeli, Oronzo (1971), La nuova questione della lingua, Brescia, Paideia.
Pozzi, Mario (1988), Discussioni linguistiche del Cinquecento, Torino, UTET.